Les écrans[1] nous donnent des opportunités considérables. Ils ont facilité notre quotidien comme aucune invention ne l’avait encore fait. Ils sont aujourd’hui omniprésents dans nos vies et ce, dès le plus jeune âge. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que leur gestion soit devenue complexe pour les parents. Car, à côté de tous leurs avantages, les écrans ont une partie plus sombre. L’utilisation de ces derniers n’est pas sans risque et ceci est particulièrement vrai pour les enfants et les adolescent-e-s.
Certains contenus digitaux[2] sont conçus pour que les utilisatrices et utilisateurs restent « scotchés » devant leur écran le plus longtemps possible. De nombreuses firmes du numérique collectent sans vergogne nos données personnelles et les monétisent pour ensuite mieux influencer notre comportement. Le cerveau des enfants et des adolescent-e-s étant en pleine maturation[3], ceux-ci sont particulièrement sensibles à ces techniques de manipulation et d’économie de l’attention[4]. De plus, le monde numérique donne un accès facilité à tous types de contenus dont un nombre important est inadapté pour les jeunes.
C’est pourquoi il est très important de les accompagner dans leur apprentissage de l’utilisation des écrans. Mais comme il n’existe pour l’instant pas de règles consensuelles bien précises, à l’instar de la consommation de sucre, par exemple (pas plus de 25 grammes par jour[5]), la gestion des écrans est un défi au quotidien. Et les parents se retrouvent en première ligne pour assumer celle-ci.
Afin de les soutenir dans ce travail, nous avons développé une approche nommée « méthode 3e ». Elle s’adresse en particulier aux parents d’enfants de 5 à 10 ans[6] et se veut une aide pour favoriser une utilisation saine des écrans dans la famille.
La méthode des 3e
Comme nous l’avons déjà mentionné, la gestion des écrans est devenue complexe. Les parents que nous voyons dans le cadre de nos activités à REPER[7] aimeraient pouvoir se faciliter la vie en appliquant des règles simples. Nous ne comptons plus le nombre de fois où l’on nous demande « combien de temps par jour et à quel âge ? ». Ce désir de simplicité est bien entendu légitime, mais nous avons des difficultés à y répondre favorablement. Car pour nous, cela dépend de plusieurs paramètres.
Au fil du temps, nous nous sommes rendus compte que la plupart de ces paramètres pouvaient être classés dans trois grandes catégories d’un modèle que nous utilisons pour expliquer les consommations de substances[8]. Il s’agit du triangle personne-environnement-substance[9] (PES). Nous avons alors élaboré un modèle inspiré de ce dernier, spécifiquement conçu pour les écrans. Dans ce modèle, nous retrouvons 3 pôles, tout comme dans le triangle PES. Il y a tout d’abord l’enfant, puis l’environnement et enfin les écrans (en lieu et place de la substance du triangle PES). Ceci a donné lieu au titre « Les 3e ».
Chaque enfant est différent-e et les règles évolueront en fonction de sa maturité et de son âge. Celles-ci ne seront pas les mêmes non plus selon l’environnement dans lequel l’enfant se trouve. Quel temps fait-il dehors ? Est-ce les vacances ? Ou encore dans quel lieu votre enfant utilise-t-elle ou utilise-t-il les écrans ? Là encore, les règles seront différentes selon la situation. Et enfin, il existe plusieurs types d’écrans avec des contenus sans fin qui ne seront pas adaptés à tous les enfants, ni dans tous les environnements.
Sous chacun des pôles, nous proposons 5 recommandations qui nous semblent être prioritaires pour une gestion harmonieuse des écrans à la maison. Ainsi, les parents vont pouvoir prendre une décision sur les règles qu’ils souhaitent[10] mettre en vigueur à la maison en ayant pris en compte tous les paramètres.
Recommandations pôle enfant
Le premier pôle est celui de l’enfant. 5 recommandations y sont formulées.
Le premier point concerne un conseil très simple : « Être avec son enfant ». Passer des moments avec son enfant, jouer avec elle ou lui, permet de construire un lien particulier entre parent et enfant. Plus ce sera le cas, et plus le parent apprendra à connaître son caractère, sa personnalité ou ses goûts. Il la ou le verra également évoluer, avec ses forces et ses difficultés. Ce lien renforcé sera utile pour le parent lorsqu’il devra poser des règles ou expliquer les risques liés aux écrans.
Le second point fait référence au besoin de mouvement. Ce dernier est connu pour être capital dans le développement de l’enfant. Arrivés à l’école, les enfants passent une partie importante de la semaine assis-ses, dans un cadre imposé. En sortant, elles et ils apprécient particulièrement le jeu de mouvement libre (courir dehors, jouer à cache-cache, faire du sport, etc.), ce qui leur permet de se défouler. Devant les écrans, les enfants sont au contraire immobiles et en outre « cadré-e-s » par les médias numériques[11]. On est loin du défouloir dont ils ont besoin.
Un 3ème point explicite l’importance de différencier les enfants à l’intérieur de la fratrie. Prenons l’exemple de l’argent de poche : si on donne à un-e enfant qui n’arrive pas à gérer son argent l’entier de ce auquel elle ou il a droit le lundi, elle ou il risque de ne plus rien avoir le mardi. C’est pourquoi on va naturellement l’aider, en divisant la somme sur la semaine. Il en est de même pour les écrans. Si l’enfant est relativement responsable face aux écrans, on pourra essayer de mettre en place une gestion relativement autonome du temps d’écrans. À l’inverse si elle ou il a des difficultés à respecter le temps autorisé, on mettra alors un cadre renforcé. Pour ce faire, l’observation de l’enfant face aux écrans est cruciale.
Devant l’écran, il n’est pas rare de retrouver les enfants affalé-e-s et dans des positions peu ergonomiques. Cela peut entraîner avec le temps différents problèmes liés à leur santé : maux de dos, fatigue des yeux, douleurs cervicales, etc. Les personnes qui travaillent souvent sur un ordinateur peuvent témoigner de l’importance d’avoir de bonnes positions devant l’écran. Il est alors bon de transférer ces bonnes pratiques dès le plus jeune âge aux enfants.
Enfin, il n’y a pas de meilleur modèle pour les enfants que leurs parents. C’est là un enjeu majeur et complexe dans la gestion des écrans. Les enfants regardent beaucoup plus ce que leurs parents font, qu’elles ou ils n’écoutent ce qu’ils disent. Il est donc important que les parents soient en cohérence avec les règles posées à leur enfant. Bien entendu, il y aura des différences de pratiques entre adultes et enfants, mais il est important que celles-ci aillent dans le même sens que les règles que ces derniers doivent suivre.
Recommandations pôle environnement
Avec le deuxième pôle, nous nous intéressons à l’environnement dans lequel se trouve l’enfant. Tout comme pour le pôle « enfant », nous proposons 5 recommandations.
La première est pour nous capitale. Il s’agit de poser un cadre clair à l’enfant. Fixer des règles simples va permettre d’ancrer des habitudes chez l’enfant qui lui seront de plus en plus facile à suivre (pas d’écrans à table, par exemple). Le temps d’utilisation est pour nous un élément important à bien clarifier, ainsi que les éventuelles adaptations de ce temps[12]. Les lieux dans lesquels les écrans sont utilisés le sont tout autant.
Les écrans ne devraient pas être accessibles n’importe où. Les placer dans des lieux communs tel que le salon permet de les gérer plus facilement et de garder un œil sur ce que l’enfant fait avec. De graves problèmes de sommeil sont constatés depuis plusieurs années chez les jeunes en particuliers. Les écrans sont soupçonnés de fortement contribuer à cela. C’est pourquoi, il est pour nous primordial qu’ils restent à l’extérieur de la chambre la nuit. Le sommeil de l’enfant gagnera grandement en qualité. Faisant écho à la dernière recommandation du pôle « enfant », la règle sera d’autant plus facilement acceptée si le parent montre qu’il laisse lui aussi les écrans hors de la chambre durant la nuit.
Le troisième point s’intéresse au moment pour l’utilisation des écrans. Comme nous l’avons déjà évoqué, garder une flexibilité selon le contexte est certainement une bonne chose. S’il fait grand soleil, mieux vaut inciter l’enfant à faire une activité extérieure. En période scolaire, les règles seront peut-être plus restrictives que durant le week-end ou les vacances. Au final, on peut plus globalement se demander quand est-ce que l’utilisation des écrans fait sens ou quand elle ne le fait pas. Précisons que tout ceci n’empêche en rien le fait d’avoir un cadre clair.
Au point suivant, nous insistons sur l’importance de privilégier une utilisation des écrans en famille ou avec des ami-e-s. L’isolement est une source de préoccupation majeure avec les médias numériques. C’est d’ailleurs l’un des principaux signaux de détection précoce d’usage abusif. Les mécanismes derrière certains contenus digitaux augmentent le risque d’accorder aux écrans une part toujours plus croissante de l’attention. En les utilisant avec d’autres personnes, l’enfant conservera l’importance d’être en relation, y compris lors de sessions d’écrans et ne sera pas uniquement obnubilé par le contenu numérique.
Enfin, nous proposons ici comme dernière recommandation de se garder (ou de s’offrir) des moments déconnectés pour toute la famille. Mettre en place une telle mesure sera bénéfique pour la santé et le bien-être de tout le monde. Mais ce sera aussi l’occasion de montrer à l’enfant qu’on peut très bien se passer des écrans pour un moment et de vivre des choses plaisantes.
Recommandations pôle écrans
Le troisième et dernier pôle concerne enfin les écrans. Comme pour les deux autres pôles, nous y avons proposé 5 points d’attention.
Le premier est pour nous fondamental. Il s’agit de s’intéresser à ce que font les enfants avec les écrans. Trop souvent, un parent ne sait pas à quel(s) jeu(x) vidéo son enfant joue ou ce qu’elle ou il fait sur internet. En montrant de l’intérêt pour les activités que son enfant pratique, il sera plus facile pour ce parent de garder le lien avec elle ou lui et de dialoguer.
Au niveau suivant, nous abordons la question des contenus et des supports. Un enfant n’est pas en mesure de juger ce qui est adapté ou non pour son âge et sa maturité. C’est pourquoi les adultes doivent être les garant-e-s de ce que regardent les enfants sur les écrans et avec quels types de supports. Pour les jeux vidéo, les normes PEGI[13] sont une aide intéressante pour rapidement évaluer si un jeu vidéo est adéquat ou non.
Dans le troisième point, nous recommandons de privilégier l’utilisation d’écrans où l’enfant est active ou actif. Plus elle ou il fera appel à ses multiples sens et meilleur cela sera pour son développement. Comme nous l’avons déjà évoqué, les écrans ne sont pas les meilleurs amis du bon développement de l’enfant. Toutefois, lorsqu’elle ou il les utilise, mieux vaut que cela soit dans un cadre d’échanges avec d’autres personnes comme nous l’avons évoqué plus haut. Si l’enfant est seul-e avec l’écrans, il sera préférable d’opter pour des activités digitales créatrices ou ludiques qui vont lui demander de mobiliser différentes compétences plutôt que de regarder passivement une télévision ou une tablette.
Notre cerveau ne peut pas se concentrer efficacement sur deux activités à la fois. Pour vous en convaincre, essayer de continuer de lire cet article tout en listant les 20 premiers multiples de 7. Les écrans nous donnent pourtant cette impression et c’est ainsi que nous traitons nos emails durant des séances ou que nous consultons notre téléphone tout en conduisant. De même, bon nombre d’adolescent-e-s font leurs devoirs avec la télévision allumée et le smartphone à portée de mains. C’est pourquoi nous conseillons d’aider les enfants, dès le plus jeune âge, à se concentrer sur une seule activité à la fois.
Enfin, nous proposons de limiter l’accès et le nombre d’écrans à la maison. Le cerveau de l’enfant en pleine maturation aura les plus grandes peines à freiner ses envies de plaisirs immédiats procurés par les écrans. En limitant leurs accès, le parent aidera son enfant dans cette tâche. Concernant le nombre, plus il y a d’écrans à la maison et plus il est compliqué de les gérer. Il peut être intéressant de réfléchir à quels écrans font vraiment sens d’avoir et lesquels sont peut-être superflus.
Conclusion
La surconsommation d’écrans est devenue un véritable enjeu de santé publique. C’est pourquoi il est important d’agir le plus tôt possible pour favoriser une utilisation saine des médias numériques. Les parents sont en première ligne pour le faire. Toutefois, cela n’est pas évident. Les écrans sont partout et il n’est pas rare d’entendre des messages contradictoires à leur sujet et sur leurs effets. Nous espérons que la méthode des 3e puisse être un bon soutien et offrir des pistes adaptées pour les parents.
Les 15 recommandations liées à cette méthode ont également pour but de jouer ce rôle. Celles-ci ne sont pas exhaustives. Nous nous sommes basés sur plusieurs années d’expérience sur le terrain avec les parents. Il en résulte ces points d’attention que nous estimons être prioritaires pour l’utilisation et la gestion des médias numériques.
Retrouvez ici tout le matériel lié à la méthode 3e et sur les-3e.ch un module d’autoévaluation pour les parents.
[1] Ici, le terme générique « écrans » désigne : la télévision, les smartphones, les tablettes et les consoles de jeux vidéo.
[2] On pense par exemple aux jeux vidéo, aux réseaux sociaux ou à des plateformes de partage de vidéos telle que YouTube.
[3] Le cerveau d’un être humain devient pleinement mature vers l’âge de 20-25 ans. La dernière structure à se développer est le cortex préfrontal. Celle-ci abrite, entre autres choses, des fonctions cognitives supérieures telles que la planification, le jugement ou l’inhibition et permet de réguler les émotions. Ces fonctions sont capitales pour se gérer face au plaisir immédiat que procure les écrans. C’est pourquoi les enfants et les adolescent-e-s sont particulièrement sensibles à certains types de contenus. Leurs capacités à résister à ces appels d’utilisation sans fin est en train de gentiment se construire.
[4] L’économie de l’attention est devenue au cours de la dernière décennie un domaine à part entière des sciences économiques. Elle concerne en particulier des offres qui sont proposées en très grand nombre aux consommatrices et consommateurs et gratuites (réseaux sociaux, journaux en ligne gratuits, sites internet, etc.). Ainsi, le temps et l’attention deviennent des ressources rares et les capter va générer de la valeur (publicités ciblées, collecte de données).
[5] Il s’agit de la recommandation donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
[6] La méthode des 3e peut s’appliquer à toutes les catégories d’âges. Mais dans la présente version, nous avons formulé les contenus pour qu’ils s’adressent en particulier aux parents d’enfants de 5 à 10 ans.
[7] REPER est une institution de prévention et de promotion de la santé pour laquelle l’auteur du présent article travaille.
[8] Par substance, on entend l’alcool, le tabac, le cannabis, la cocaïne et toutes les autres drogues connues.
[9] Ce modèle a été proposé initialement par Sting et Blum en 2003. Il est lui-même dérivé de l’approche bio-psycho-sociale élaborée par le médecin-psychiatre Engel en 1980.
[10] La notion de choix des règles est pour nous importante dans la méthode des 3e. Les 15 recommandations sont à voir comme un idéal vers lequel tendre le plus possible. Si des parents les tiennent toutes, c’est évidemment excellent et il ne faut rien changer. Mais pour tous les autres, nous insistons sur le fait qu’il vaut mieux appliquer et tenir quelques recommandations, dans l’idéal qui couvrent les 3 pôles, de manière fiable, plutôt que d’essayer de faire un peu de tout à moitié et se décourager.
[11] Le terme de « médias numériques » est utilisé comme un synonyme des écrans.
[12] On entend par adaptation un temps d’écrans qui sera différencié selon notamment l’utilisation que l’enfant en fait ou la période. Ainsi, un parent va peut-être choisir d’accorder plus d’accès aux écrans durant le week-end et les vacances que durant les semaines d’écoles. De même, il pourrait accorder un temps supplémentaire lorsque l’activité sur l’écrans a des visées éducatives.
[13] PEGI est un acronyme pour Pan European Game Information. Il s’agit d’un système permettant d’évaluer rapidement un jeu vidéo. Sur les boîtes de jeux ou les shops en ligne, un pictogramme de couleur indique l’âge recommandé (mais certains pays ou cantons ont donné un caractère légal à cette indication de l’âge) et d’autres pictogrammes noirs informent sur les différents types de contenus éventuellement problématiques dans le jeu (nudité, jeu de hasard, contenus effrayants, etc.).